mardi 26 juillet 2011

"Mysoginie" : petites explications

Lors de la lecture d'un ouvrage sur la sorcellerie, j'ai eu le plaisir de tomber sur cet extrait, qui m'a semblé... plutôt intéressant. Au programme : comprendre la mysoginie.

Bonne lecture !


[...]
L'attitude masculine à l'égard du "deuxième sexe" a toujours été contradictoire, oscillant de l'attirance à la répulsion, de l'émerveillement à l'hostilité. Le judaïsme biblique et le classicisme grec ont tour à tour exprimé ces sentiments opposés. De l'âge de la pierre, qui nous a laissé beaucoup plus de représentation féminines que masculines, jusqu'à l'époque romantique, la femme a été, d'une certaine façon, exaltée. D'abord déesse de la fécondité, "mère aux seins fidèles", et image de la nature inépuisable, elle devient avec Athéna la divine sagesse, avec la Vierge Marie le canal de toute grâce et le sourire de la bonté suprême.

Cette vénération de l'homme pour la femme a été contrebalancée au long des âges par la peur qu'il a éprouvée pour l'autre sexe, particulièrement dans les sociétés à structures patriarcales. Une peur que l'on a longtemps négligé d'étudier et que la psychanalyse elle-même a sous-estimée jusqu'à une époque récente. Pourtant, l'hostilité réciproque qui oppose les deux camposantes de l'humanité semble avoir toujours existé et "porte toutes les marques d'une impulsion consciente".
D'où les destins différents et pourtant solidaires des deux partenaires de l'aventure humaine : l'élément maternel représente la nature et l'élément paternel l'histoire. Aussi les mères sont-elles partout et toujours les mêmes, tandis que les pères sont beaucoup plus conditionnés par la culture à laquelle ils appartiennent. Parce que plus proche de la nature et mieux informée de ses secrets, la femme a toujours été créditée dans les civilisations traditionnelles du pouvoir non seulement de prophétiser, mais encore de guérir ou de nuire au moyen de mystérieuses recettes. En contrepartie, et en quelque sorte pour se valoriser, l'homme s'est défini comme apollinien et rationnel par opposition à la femme dionysiaque et instinctive, plus envahie que lui par l'obscurité, l'inconscient et le rêve.
Cette ambiguïté fondamentale de la femme qui donne la vie et annonce la mort a été ressentie tout au long des siècles, et notamment exprimée par le culte des déesses-mères. La terre mère est le ventre nourricier, mais aussi le royaume des trépassés sous le sol ou dans l'eau profonde. Elle est calice de vie et de mort. Elle est comme ces urnes crétoises qui contenaient l'eau, le vin et le grain et aussi bien les cendres des défunts.
Ce n'est pas un hasard si dans beaucoup de civilisations les soins des morts et les rituels funéraires ont incombé aux femmes. C'est qu'on les jugeait beaucoup plus liées que les hommes au cycle - l'éternel retour - qui entraîne tous les êtres de la vie vers la mort et de la mort vers la vie. Elles créent, mais aussi elles détruisent. D'où les noms innombrables des déesses de la mort.
Derrière les accusations portées aux 15° - 17° siècles contre tant de sorcières qui auraient tué des enfants pour les offrir à Satan se trouvait, dans l'inconscient, cette crainte sans âge du démon femelle meurtrier des nouveau-nés.
Elle est le principe maternel aveugle qui impulse le cycle du renouveau. Elle provoque l'explosion de la vie. Mais en même temps elle répand aveuglément les pestes, la faim, les guerres, la poussière et la chaleur écrasante.
Le vide est la manifestation femelle de la perdition. Aussi faut-il résister aux troubles appels de Circé et de Lorelei. Car, de toute façon, l'homme n'est jamais gagnant dans le duel sexuel. La femme lui est "fatale". Elle l'empêche d'être lui-même, de réaliser sa spiritualité, de trouver le chemin de son salut. Epouse ou amante, elle est géôlière de l'homme.
Mal magnifique, plaisir funeste, venimeuse et trompeuse, la femme a été accusée par l'autre sexe d'avoir introduit sur terre le péché, le malheur et la mort. Pandore grecque ou Eve judaïque, elle a commis la faute originelle, en ouvrant l'urne qui contenait tous les maux ou en mangeant le fruit défendu. L'homme a cherché un responsable à la souffrance, à l'échec, à la disparition du paradis terrestre, et il a trouvé la femme. Comment ne pas redouter un être qui n'est jamais si dangereux que lorsqu'elle sourit ?
Ce qu'on a appelé "montée de l'exaspération et de l'outrance" fut en réalité la constitution d'une mentalité obsidionale. Les périls identifiables étaient divers, extérieurs et intérieurs. Mais Satan était derrière chacun d'eux. Dans cette atmosphère chargée d'orages, prédicateurs, théologiens et Inquisiteurs désirent mobiliser toutes les énergies contre l'offensive démoniaque. En outre, plus que jamais ils veulent donner l'exemple. Leur dénonciation du complot satanique s'accompagne d'un douloureux effort vers plus de rigueur personnelle. Dans ces conditions, on peut légitimement présumer, à la lumière de la psychologie des profondeurs qu'une libido plus que jamais réfrénée s'est changée en eux en agressivité.
Avec l'entrée en scène au 13è siècle des ordres mendiants, la prédication prit en Europe une importance extraordinaire, dont nous avons maintenant quelque mal à mesurer l'ampleur. Et son impact s'accrut encore à partir des deux Réformes, protestante et catholique. Même si la plupart des sermons d'autrefois sont perdus, ceux qui nous resetent laissent assez deviner qu'ils furent souvent les véhicules et les multiplicateurs d'une misogynie à base théologique : la femme est un être prédestiné au mal. Aussi ne prend-on jamais assez de précautions avec elle. Si l'on nen l'occupe pas à des saines besognes, à quoi ne pensera-t-elle pas ?
Au long des siècles, les litanies antiféministes récitées par les prédicateurs ne varieront guère que dans la forme. (Elles) exprimèrent de mille façons la peur durable que des clercs voués à la chasteté éprouvaient devant l'autre sexe. Pour ne pas succomber à ses charmes ils le déclarèrent inlassablement dangereux et diabolique. [...]

Jean Delumeau, La Peur en Occident (14è - 18è siècle), Fayard
(quelques coupures ont été faites pour alléger le texte)


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