jeudi 14 novembre 2013

Les scrofules, ou le Toucher royal des écrouelles

Il fut un temps - surtout au Moyen-Âge - où de nombreuses maladies se soignaient avec une bonne vieille rasade d'huile de foie de morue. Parmi celles-ci, nous trouvons les écrouelles (ou humeurs froides - voir article "La Théorie des humeurs"), dont une thérapie me semblait bel et bien digne d'intérêt : le toucher royal.

Avant tout, remontons à l'origine des mots, et constatons que tout le monde n'est pas d'accord. En effet, d'un point de vue étymologique, le bon vieux Dictionnaire médical Larousse du début de siècle nous indique que scrofule est un mot hérité de scrofulae (de scrofa, truie) faisant ainsi mention aux tumeurs ganglionnaires du porc, alors que Wikipédia - quelque peu moins précis - nous parle de "l'aspect dégoûtant des symptômes". 
Pour ce qui est des écrouelles (apparemment très proche des scrofules), le même dictionnaire les décrit comme des "adénites suppurées du cou", et plus précisément "plaies provenant de l'ouverture d'abcès du cou résultant de tuberculose localisée des ganglions de cette région".

Scrofules au cou d'un enfant,
Atlas of Clinical Medicine, 1893
Comme son nom l'indique
Quoiqu'il en soit, rien de très rassurant pour celui ou celle qui s'en voit affublé. Les symptômes sont plutôt visibles, comme mentionné dans Wikipédia : "maladie qui se caractérise par des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou.  
Le dégoût suscité par les symptômes explique bien l'étymologie des scrofules.  
La photo ci-contre parle d'elle-même...

De bien étranges traitements
Tout comme beau nombre de pathologies, à l'époque la variété des méthodes n'avait d'égal que leur côté plutôt rebutant aux yeux d'un "homme moderne civilisé" si je puis dire. Arsenic, phosphate, iode, et bien sûre cette bonne vieille huile de foie de morue étaient ingérés (pour cette dernière) ou appliqué directement sur la plaire. Selon Pierre Lalouette, auteur du Traité des scrofules vulgairement appelées écrouelles ou humeurs froides, pas question de passer sur le billard, comme il le précise : "je bannis de la cure des Scrophules toutes les opérations chirurgicales, presque toujours meurtrières". En gros, il était plutôt question de laisser faire la nature, puisque celle-ci faisait très bien le boulot chez les animaux, sans le moindre recours à de quelconques opérations. 
Mais parmi tous les traitements en vigueur dans les temps passés, il en est un que je ne pouvait omettre, et qui fait d'ailleurs l'objet de ce qui suit.

Le toucher royal
S'il y a bien une chose qui fonctionnait lors de la plupart des thérapies prodiguées au peuple, c'est l'autosuggestion, et ce peu importe la pathologie dont il souffrait. Certains avancent même que plus la médecine est intervenue, et moins la guérison par le toucher était efficace. En effet, le public était moins récepteur à l'autosuggestion à partir du moment où l'on commença à démystifier l'éventuelle efficacité d'une pratique religieuse ou métaphysique, en l'occurrence du toucher royal, et à beaucoup plus s'orienter vers la médecine (fin du XVIIè siècle).
Illustrant parfaitement le principe des rois thaumaturges (1), cette pratique désormais perçue comme parfaite illustration de l'effet placebo avait pour but de guérir les fameuses écrouelles (ou scrofules, c'est selon). 

On ne badine pas avec les écrouelles
Dès le début, lors des premiers touchers royaux, on a opéré une sélection parmi tous les candidats au toucher, afin de ne la prodiguer qu'aux seules personnes réellement atteintes du mal. Et ce pour une simple et bonne raison : le roi n'était sensé guérir que les seules écrouelles, et non toutes sortes de maux présents à l'époque, et pouvant être dus à un manque d'hygiène. 
Henri IV touchant les écrouelles
Une fois la sélection opérée, les malades défilaient auprès du roi. Pendant que l'on tenait leurs mains et leurs têtes, le thaumaturge appliquait ses mains sur ces dernières. Les médecins étaient les seuls à toucher les patients de façon prolongée, alors que le roi ne faisait que les effleurer en prononçant une formule consacrée : "Le roi te touche, Dieu te guérit" (formule attestée à partir du XVIè siècle). En effet, la croyance était telle que le peuple croyait en l'incarnation divine du roi, ou du moins que celui-ci pouvait être le bras droit de celui qu'ils priaient. Dès lors, c'est toujours dans une période qui suivait de très près le sacre du roi que les touchers étaient effectués, et ce dès Robert II, le capétien (972-1031 PCN). Ensuite s'ensuivit toute une série de rois (et donc de touchers). 
Louis XIII toucha 3125 rien qu'en 1620, alors que son successeur Louis XIV en toucha au total plus de 200 000 !
Le dernier pratiquant cette forme de thaumaturgie fut Charles X, arrivé au trône en 1825.



LEXIQUE
(1) La thaumaturgie désigne le fait de faire des miracles, notamment en terme de guérison. De thauma (dieu) et urgein (produire, opérer). Par extension, un thaumaturge est une personne qui prétend accomplir des miracles, défier les lois de la nature

WEBOGRAPHIE et BIBLIOGRAPHIE
  • Marc BLOCH, Les rois thaumaturges, 1924
  • Lire le Traité des scrofules vulgairement appelées écrouelles ou humeurs froides (Pierre LALOUETTE, 1780) - gratuit sur Google Books
  • Lire l'article très complet sur le site du CAIRN

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